lundi, mai 16, 2016

Maroc - Acte VI




Essaouira... Le calme après la tempête... Un comble, pour une ville si souvent balayée par le vent ! Quoi qu'il en soit, un bonheur de petite ville côtière...

Je ne suis pas dupe : Essaouira n'est pas symbolique du niveau de vie marocain. Mais elle n'est pas non plus artificielle comme Ifrane, ni comme d'autres stations balnéaires surfaites.


Quelques dizaines de kilomètres plus tôt, le dernier gros village traversé, en venant de Marrakech, était un modèle de sous-développement (oh pardon, il ne faut plus utiliser ce terme depuis 30 ans). Bas-côtés défoncés en terre et crottin d'âne, maisons de bric et de broc alignées face à la route nationale, petits trafics et commerces d'un autre âge.
Des ânes et encore des ânes ; parfois un cheval pour tirer une carriole plus grande ; des voitures bringuebalantes : 4L, 504, 404, R18 (la plus récente aperçue était une Renault 11... GTL !) ; un petit garage baignant dans la graisse à tel point que les piliers, autrefois blancs, sont noirs d'huile jusqu'à hauteur d'homme.

Prendre tout ceci en photo n'est pas envisageable. En tout cas, pas pour moi. D'une part, parce qu'on ne s'arrête guère ; d'autre part, surtout, parce que je me sentirais mal-à-l'aise de prendre des photos volées de cette misère.
Pourtant, j'en ai envie ! Pour montrer la "vraie" vie à ceux qui liront ces lignes, pour garder des traces du passé lorsque tout ceci aura évolué... Mais j'aurais mauvaise conscience, j'aurais l'impression de faire du voyeurisme, je craindrais qu'on puisse penser que je me moque de ces gens qui vivent de si peu, et probablement si durement.
Alors tant pis, pas de photos. Mais des images plein la tête qui, j'espère, me resteront jusqu'à la fin de mes jours. Et une confirmation dans une certitude déjà acquise : à conduire mes petits trams sept heures par jour, oui, je suis déjà un privilégié. Mon mérite? Aucun. Juste la chance d'être né au bon endroit, contrairement à ces petites boules de suif de 4 ou 5 ans qui fouillent les tas d'ordures, là, de l'autre côté de la route, pendant que nous remplissons nos réservoirs de "sans-plomb" à 1 euro le litre…

*  *  *

En sortant du merveilleux et si cosmopolite petit Riad "Zahra", après y avoir picoré quelques tapas, je n'avais plus l'impression d'être au Maroc. Sincèrement, en empruntant la promenade de la plage pour me rendre vers le centre historique d'Essaouira, avec ses trottoirs parfaits, ses jolis lampadaires "design", ses vertes pelouses et ses voitures récentes, je me suis vraiment cru dans quelque ville d'une côte espagnole, ou peut-être portugaise... Jusqu'à ce que je sorte de ma rêverie pour me souvenir que j'étais bien dans le même pays que deux heures auparavant.

Heureusement, le vieux port a gardé toute son authenticité. Et même plus que ça : ce coin a un charme fou...
Les petits chantiers navals, les traditionnelles barques bleues, les chalutiers aux carènes bien différentes des nôtres. Les étals de poissons frais, tout juste débarqués des navires, d'une variété étonnante. Avec la possibilité de faire griller et de déguster sur place, dans un boui-boui de deux ou trois tables sur la jetée...
Puis la vue depuis la tour sur les remparts, entre port et medina.
Puis la balade au gré des petites ruelles, à l'abri du vent, avec un bon mélange de boutiques pour touristes et d’échoppes traditionnelles plus locales. Et des chats, partout, peut-être plusieurs devant chaque maison. Un bon signe, ça, les chats...


Enfin, la petite épicerie traditionnelle, une parmi plein d'autres, au milieu d'autres boutiques encore. Pourquoi celle-ci ? Aucune idée. J'entre, je sens les herbes à infusion, les épices. Le tenancier parle mal le français, mais toujours mieux que moi l'arabe ; il essaie de m'expliquer que je dois d'abord préparer un thé normal, laisser infuser, puis ajouter les herbes dans la théière, si j'ai bien compris.
Il me tend un marqueur : "Toi écrire sur les sacs. Thé Atlas. Thé Royal".
On parle un peu de nos métiers, bien différents. Je choisis quelques épices, des choses simples dont je me servirai : piment doux, curry marocain, safran à... 4 dirhams le gramme (40 centimes d'euro).

De nouveau, il me donne un papier et un crayon : "Toi faire calcul." Je rigole en lui expliquant que j'écris moins mal que je compte... Il repose les sachets un par un sur la balance, je note le prix de chacun puis fais l'addition. "Toi te moques de moi, toi comptes très bien", dit-il avec un grand sourire. Puis il ajoute un autre sac d'herbes "ça c'est cadeau en plus"... On se quitte en se serrant chaleureusement la main.
Même si je me doute que j'ai payé le thé un peu plus cher que l'aurait payé un autochtone, cela ne me choque pas, car ça reste raisonnable. Une preuve qu'on peut faire commerce avec les touristes tout en restant honnête.



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