samedi, juillet 09, 2005

J'ai 40 ans mais ça devient dur !

Côté boulot, je n'ai pas à me plaindre, je n'en manque pas.
Notre tramway clermontois connaît un succès grandissant! Bien qu'ayant acheté des rames supplémentaires et augmenté la cadence aux heures de pointe, il est souvent archi complet.
La deuxième ligne est terminée, l'inauguration a eu lieu l'automne dernier. Tant mieux, parce que pour rouler en bus dans cette zone, c'était galère.
En tout cas, les travaux n'étaient pas encore achevés que nos politiques visionnaires nous présentaient déjà des projets de troisième ligne de tram, reliant à bonne vitesse Cournon et La Pardieu. Il était temps, l'axe Cournon-Clermont étant saturé depuis pas mal d'années...

En bus aussi, on est bien chargé. Les vieux articulés Agora sont en fin de vie, les services techniques font se qu'ils peuvent pour les maintenir en fonctionnement, en attendant leur remplacement progressif par les nouveaux articulés, à propulsion électrique alimentée par une
pile à combustible. On en a déjà depuis quelques années, mais comme toute nouvelle technologie, ça cafouille pas mal.
Heureusement, il reste nos bus au Gaz Naturel de Ville! Les premiers modèles sont aussi en fin de vie, mais les autres fonctionnent plutôt bien, même s'il a fallu en changer des morceaux, les premières années.
Le Syndicat Mixte a investi dans une seconde station de production "GNV", si bien qu'on a dépassé les 120 "bus au gaz".
Les autres sont donc les "bus à pile", mais souvent en panne... Du coup, il faut continuer à faire rouler les vieux bus au gasoil qui nous restent, ce qui coûte les yeux de la tête de l'entreprise.

Et oui, (j'y arrive, vous deviez vous demander où je voulais en venir) car le prix du gasoil devient prohibitif. Tout comme celui des autres carburants de même provenance.
Petit retour en arrière:
Il y a une dizaine d'années, le prix du baril de pétrole recommence à flamber. Les américains squattent en Irak, c'est le bordel, ça pète en Espagne et "vigipirate" veille, en France. Un an plus tard, les bombes sont pour Londres. Les marchés rechutent, le pétrole grimpe.
L'OPEP commence à annoncer qu'au rythme actuel (2005), elle ne pourrait pas répondre à la demande pendant plus d'une douzaine d'années... et continue progressivement de fermer les robinets.
Logique: autant faire durer les réserves le plus longtemps possible, quitte à vendre 3, 4, 5 fois plus cher pour compenser les rentrées de devises!

En 2006, la situation politique internationale se calme, à l'exception du bourbier irakien. Les bombes du métro londonien n'ont servi à rien, bien entendu et heureusement! La sécurité se relâche, "vigipirate" repasse à l'orange et... à l'automne: trois bombes à Paris, une autre à Lyon. Histoire de rappeler que les terroristes sont toujours là et que la France n'est pas plus à l'abri que les autres, d'autant qu'elle a toujours des militaires en Afghanistan.
Le cours du pétrole, lui, en profite... En 2007, mon litre de SP95 atteint les 2 €uros, un simple aller-retour en BM pour aller bosser me coûte plus de 7 €uros.
En 2010, on en est à 3,6 €uros le litre. Les constructeurs commencent enfin à proposer des voitures utilisant d'autres sources d'énergie, dont cette fameuse "pile à combustible" et ses réservoirs d'hydrogène. Mais qui peut se les offrir? Pas moi... La BM a rendu l'âme depuis longtemps et j'ai du me contenter, comme presque tout-le-monde, de racheter une
voiture d'occasion à propulsion "traditionnelle".
S'il fait beau, je prends la moto, l'aller-retour me revenant à moins de 9 €uros; sinon, c'est la voiture, et c'est plutôt 13 €uros...

Voilà pourquoi nos transports en commun connaissent autant de succès. Le français moyen n'a plus les moyens, justement, de remplir trop souvent le réservoir de sa voiture; il la garde pour les occasions exceptionnelles, les week-end, les vacances.
Quant à moi, je suis toujours aussi au calme à Busséol, un des rares villages de l'agglomération qui ne soit desservi par aucune ligne de bus. Du coup, ça ne s'est pas trop construit, ça reste encore un petit village de taille humaine, un peu oublié.
Vivre à la campagne, c'est bien, mais hélas, il faut toujours faire le trajet pour aller travailler!


Ce matin de Juillet 2014, comme les deux matins précédents et comme de nombreux autres auparavant, je suis réveillé par l'agitation du dépôt de Champratel.
J'ai réussi à m'habituer aux premiers trams sortant vers 3 heures et à me rendormir; j'arrive aussi à ignorer les premiers bus... Par contre, vers 6 heures, tous les bus tournent, ça bouge partout, inutile de vouloir résister plus longtemps. Je sors de mon sac de couchage, dégonfle le matelas, enfile un jeans et, affaires sous le bras, vais rejoindre les vestiaires.
Heureusement, nous avons tout le confort sur place: de quoi prendre une douche et se faire un bon petit déjeuner. Dans mon casier, au vestiaire, j'ai même un stock de mes boites de céréales favorites.
Ensuite, je tente d'aller terminer ma nuit sur les confortables sièges de la salle de repos. Mais les collègues travaillant en plusieurs vacations viennent m'y rejoindre après la fin de l'heure de pointe matinale, vers 8h30, afin d'attendre la seconde partie de leur service.
Ca bouge, ça ronfle, c'est pas l'idéal...
Je ne sais pas combien de temps vais-je pouvoir tenir le rythme. Je travaille essentiellement du soir, et je suis toujours un aussi gros dormeur, ce qui ne s'est pas arrangé avec l'âge; ici, je n'arrive pas à faire des nuits suffisantes.

Mes chefs doivent bien se douter que je passe des nuits dans les vieux bus, au fond du parking. Pour l'instant, ils ferment les yeux, d'autant plus qu'ils connaissent eux-aussi des problèmes de budget. Hélas, d'autres conducteurs sont obligés de faire comme moi, et si nous devenions trop nombreux à prendre cette habitude, je crains qu'une interdiction plus ferme ne vienne nous forcer à trouver d'autres solutions!
L'idéal serait de pouvoir squatter la salle de repos toute la nuit, mais de cela, la Direction ne veut pas entendre parler. Hors de question de laisser du personnel dans le bâtiment pendant la nuit! Pourtant, celui-ci fermant à 1 heure du matin pour rouvrir à 3 heures, la période d'inactivité est toute symbolique...

Depuis cet hiver, le carburant a pris un nouveau coup de fouet. L'indispensable SP95 coûte aujourd'hui 7€20.
Il y a quelques années, j'ai réussi à changer ma vieille Transalp pour une BM d'occasion, une 850 RT fiable et peu gourmande. Un aller-retour entre Busséol et Champratel me revient quand même à plus de 17 €uros, rien que pour le carburant.
Si je dois prendre la voiture, ça me fait environ 26 €uros pour avoir simplement le droit d'aller bosser. A environ 100 €uros nets par jour travaillé, près du quart de mes revenus part en carburant; sans m'autoriser aucune ballade ni aucun extra...
Pourtant, il faut bien continuer à vivre! Pouvoir faire un saut au ciné ou au resto, une fois de temps à autres; rendre visite aux amis, passer à Aulnat voir ce qu'il reste des aéroclubs.

Côté budget, tout ne s'est pas vraiment passé comme prévu.
Les remboursements pour la maison ont augmenté avec l'inflation et la hausse des taux d'intérêt (mon crédit à taux variable, c'était super, il y a dix ans... mais pas aujourd'hui!). A l'époque, j'avais pensé que, dans tous les cas, mon salaire suivrait lui-aussi l'inflation. Hélas, depuis que T2C ne s'appelle plus T2C et que les salaires ont été harmonisés avec les autres réseaux du groupe européen qui nous a rachetés, mes revenus ont stagné... mais pas mes dépenses!
J'avais espoir, en essayant d'être un bon élément, de prendre un peu de galon et de compenser ainsi mon pouvoir d'achat. Mais là encore, rien ne se déroule comme prévu. Les nouveaux agents de maîtrise qui débarquent à Clermont viennent des autres réseaux, et les nôtres doivent choisir entre mutation ou mise au placard.
Quant aux conducteurs qui, comme moi, espéraient faire carrière, bien peu arrivent à percer. Il doit bien y avoir une méthode, mais je n'ai toujours pas compris laquelle! Dénoncer ses petits camarades, peut-être, casser du sucre sur le dos des copains, vendre son âme au diable, ça doit être ça. Dans ce cas, très peu pour moi...
Bref, financièrement, ça coince.

Voilà pourquoi j'ai du m'adapter.
Ne pouvant plus m'offrir des allers-retours journaliers, je fais des échanges avec les collègues pour essayer de travailler 5 à 6 jours de suite, puis d'avoir 2 ou 3 jours de repos consécutifs, par exemple.
Ainsi, depuis cet hiver (qui a été, coup de chance, particulièrement doux), je viens au boulot pour plusieurs jours et je m'installe pour les nuits dans les plus vieux bus, ceux qui servent le moins souvent et qu'on ne met pas en service à 4 ou 5 heures du matin.
Comme je suis là toute la journée, j'en profite pour faire, lorsque c'est possible, quelques heures supplémentaires. Parfois, un tour de tram entre 7 et 8 heures, avant d'aller me rendormir tant bien que mal, ça permet de boucler à peu près les fins de mois...
Ce qui m'inquiète, c'est que je ne sais pas combien de temps va-t-on m'autoriser à vivre comme ça. Et si le prochain hiver est plus rude, je me vois mal dormir dans un sac de couchage au fond d'un bus glacial plein de courants d'air.

Une solution serait d'acheter un vieux camping-car. Il y a dix ans, ça se vendait comme des petits pains; aujourd'hui, la majorité des français n'arrive plus à leur remplir le réservoir pour partir en vacances. Du coup, on doit en trouver pour pas trop cher; mais "pas trop cher", quand il n'y a plus de sous, c'est encore "trop cher"!
Il va falloir faire encore plus d'heures sups, se faire payer 2 semaines de congés sur les 5 qu'il nous reste annuellement, gratter les fonds de tiroir et trouver un engin en fin de vie. Qu'il soit simplement capable de faire le trajet une fois jusqu'au fond du parking du personnel, et je ne lui en demanderai pas plus. Il ne se sentira pas tout seul, il y a déjà bon nombre de collègues qui vivent sur place la plupart du temps, dans les mêmes conditions...

Pourquoi ne pas déménager, me direz-vous?
Et bien, parce que d'autres ont eu la même idée avant moi. Avec le coût du carburant augmentant, beaucoup sont revenus s'installer au plus près de l'agglomération clermontoise. Le prix des maisons dans les petits villages comme le mien a lourdement chuté, et je continue donc à rembourser cher une bicoque qui ne vaut plus grand chose. A contrario, le moindre petit appartement ici, entre Riom et Clermont, vaut maintenant plusieurs fois le prix de ma maison!
Cournon, Clermont, Riom, toute l'activité du département se concentre aujourd'hui sur cet axe, qui constitue une seule et même agglomération. Parallèlement au rachat de T2C, notre réseau a aussi fusionné avec celui de Riom, dont les lignes ont été adaptées pour compléter les nôtres.
Et moi, au milieu de tout ça, comme bon nombre d'autres personnes, je suis coincé.
Il va falloir s'adapter tant bien que mal, voilà tout.
Continuer à survivre...

@ suivre... peut-être...


Le dépôt de Champratel en construction, 9 ans plus tôt.

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