dimanche, mai 22, 2005

A qui la faute...?

Samedi après-midi, ligne 10, quartier des "Tamaris".
Monte une petite-mamie...

"- Comment dois-je faire pour aller à Aubière?
- Aubière? Ca dépend à quel endroit...?
- Alors je change à Jaude, c'est ça?
- Euh non, à quel endroit voulez-vous aller, à Aubière?
- Mais après, quel bus je dois prendre, pour Aubière?
- (en lui criant dans l'oreille) A QUEL ENDROIT ALLEZ-VOUS, A AUBIERE??
- A la Pardieu.
- La Pardieu, c'est sur Clermont, pas sur Aubière!
- Hein? C'est que je suis un peu sourde maintenant...
- (un peu?) LA PARDIEU, C'EST A CLERMONT, MAIS CA DEPEND... A QUEL MAGASIN ALLEZ-VOUS?
- Au Leclerc... C'est pas sur Aubière?
- NON, JE NE CROIS PAS... PRENEZ LE 13, C'EST CELUI QUI PASSE LE PLUS PRES!
VOUS CHANGEZ A BALLAINVILLIERS ET VOUS PRENEZ LE 13 DANS LE MEME SENS.
- Ah merci bien... Si vous saviez, comme c'est difficile, pour moi..."

On s'approche de la place de Jaude, et bien évidemment, petite-mémé se lève pour descendre.
Inutile que je tente de l'appeler, elle n'entendra pas... Heureusement, elle jette un oeil vers moi pour être sûre, et j'ai le temps de lui faire un grand signe "NON" de la tête!
Ouf, elle a compris et se rassoit...

Un instant plus tard, alors que j'attaque le boulevard Desaix, elle rapplique à l'avant.
"- Je descends où, alors?
- A Ballainvilliers, prochain arrêt.
- Vous dîtes??
- AU PROCHAIN ARRET. ET VOUS PRENEZ LE 13 DANS LE MEME SENS.
- Ah très bien, dans le même sens, et j'attends le 7, alors...
- NON LE 13, VOUS ATTENDEZ LE TREEEIIIIIIIZZEEUUUUUUU!!!
- Ah oui le 13, merci... Si vous saviez comme je suis embêtée, avec ce Passe-Bus... C'est que, j'ai une toute petite retraite, je suis toute seule, je n'y arrive plus! Tenez, ma voisine, elle avait une bonne situation, elle a une bien meilleure retraite que moi, elle m'a dit d'aller au service social, là, que si elle avait eu son abonnement gratuit, je l'aurais bien aussi. Et bien j'y suis allée, et il paraît
que je dépasse! C'est ridicule, je touche presque rien, bien moins qu'elle, pourtant...
- ...
- (en regardant à gauche du boulevard) Pensez-vous, je travaillais ici, à la Préfecture. Mais j'ai juste une toute petite retraite de simple dactylo, je n'y arrive plus, moi! Comment je peux faire, pour ce Passe-Bus?
- Vraiment aucune idée, M'dame..."

Je regarde ses petites mains toutes décharnées, faibles et tremblantes, qui s'agrippent à mon portillon comme on s'agrippe à la vie.
Je regarde son maigre visage, à la peau malade et par endroits décolorée, aux sourcils disparus mais quand même dessinés par un léger trait de maquillage.
Je regarde ses yeux tout clairs, tout doux. Elle pleure.

"- Je sais pas, M'dame, je sais vraiment pas. On arrive.
- Vous savez pas? Merci quand même, dit-elle de sa petite voix fluette et grelottante, à peine perceptible..."

A qui la faute, disais-je?
Certains vont accuser Raffarin, comme pour la canicule.
D'autres vont accuser l'Europe, et trouver une raison de plus, imbécile et sans rapport, pour voter "non".
Je ne suis pas certain qu'il faille trouver un fautif, d'ailleurs.
La société évolue, nos moeurs changent, point.
A moi, la solitude convient tout-à-fait. Mais pour certains, c'est dur.
Je connais une autre grand-mère qui, elle, a ses oreilles mais plus ses yeux. Elle a pleuré aussi et me fait penser à cette petite mémé.
C'est la vie.

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